Yves SCHEMEIL (IEP : 1969 PS – DES Sc. Pol. : 1970 – Doctorat d’Etat : 76), Membre honoraire de l’Institut Universitaire de France, Professeur de Science Politique
Pourquoi Yves Schemeil, professeur de sciences politiques, se lance-t-il parmi les premiers, dans la production d’un MOOC de géopolitique ? Il veut permettre aux étudiants de regarder sur la ligne de l’horizon de 2065, au niveau mondial. Rien de moins. Et cela nous conte, en résumé, l’esprit qui l’anime : il aime les défis, il adore regarder plus loin que le bout se sa chaussure, beaucoup plus loin, il s’amuse de penser à l’échelle qui est devenue une expression banale, l’échelle globale.
Un retour sur l’itinéraire de celui qui fut mon professeur à Sciences-Po, puis mon second directeur de thèse et d’HDR, permet de mieux le comprendre. Sa trajectoire est profondément ancrée à Grenoble, et singulièrement à Sciences-Po, mais elle sillonne les deux hémisphères. Sans doute est-ce à la fois dans ses gènes et son éducation initiale. Né en Egypte, il fait ses études à Beyrouth (sciences éco et sociologie) avant de venir en 1967 à Sciences po. Il voulait se former sur l’Europe pour être fonctionnaire international. Que nenni : il va passer l’agrégation de Sciences politiques en France à 29 ans – pourquoi attendre ? –, puis partir à UCLA où il occupe durant un semestre la chaire de Malcom Kerr. Il revient à Grenoble comme professeur à Sciences Po et pour s’y voir confier la direction à 33 ans dans la foulée. L’âge de l’innocence et de l’énergie : il s’engage, pressé par Claude Domenach et Jean-Louis Quermonne, soutenu par François d’Arcy et Frédéric Bon, à le réformer en profondeur pour l’adapter, déjà, aux défis de l’enseignement supérieur. Nous sommes en 1981, et à cette époque Sciences po a besoin d’un sacré coup de torchon et de modernisation, ne serait-ce que parce que les dinosaures de l’époque marxiste sont encore en place. Une tâche qui en a enseveli bien d’autres sous les réunions, les corporatismes, les rigidités d’un système français qui n’en a aujourd’hui encore pas fini d’essayer de muter. Energique et « pas lié par les usages », il se met à l’ouvrage. Pendant 7 ans, il pose les fondations de l’établissement que l’on connaît aujourd’hui : il installe la commissions scientifique, construit le service de relations internationales pour en faire autre chose qu’un bureau de voyage, négocie avec le Ministère des réductions de service pour les enseignants croulant sous l’innovation pédagogique. Il arrache des postes de professeur à Paris à une époque de pénurie. Ses étudiants bénéficient de son réseau international et on les retrouve en poste au Moyen-Orient, aux Etats-Unis, au Canada, à Singapour et ailleurs.
Pourquoi est-il venu à Grenoble, dont la centralité n’est pas manifeste ? Appelé par UCLA, parti temporairement à Aix-en-Provence, invité à répétition au Japon, pourquoi y est-il revenu et resté aujourd’hui ? D’abord parce que Sciences-Po a une taille « humaine », peut se transformer plus vite que les grosses machines universitaires : il brûle de le mettre à niveau au début des années quatre-vingt. Il analyse la plus value de la maison : son enseignement vise à faire prendre conscience aux étudiants de ce qu’ils sont capables de faire. A apprendre que tout est possible. Et à les tirer au niveau de leurs professeurs. Mais Grenoble est trop petit : à nouveau il lui faut plus large, global. Le modèle est bon, il faut l’exporter. Consultant pour le ministère des affaires étrangères dès 1987 et jusqu’à 2003, il multiplie son investissement dans les formations de type « sciences po » à l’étranger : Istanbul (Marmara puis Galatasaray), Jérusalem (Birzeit), Minsk (l’université humanitaire européenne), Beyrouth (la formation doctorale de l’USJ), Le Caire (la Faculté de sciences économiques et politiques).
Venu d’ailleurs, toujours ici et en même temps là-bas, il sait tout faire très jeune : il dirige un établissement universitaire, est expert pour le gouvernement, siège des années au CNRS, à l’ENA, à la FNSP, à l’Ecole Polytechnique, quitte à avoir quelques regrets semés ici où là, le long de sa route. Faire entrer le monde dans un institut d’études politiques suppose de pousser fort et peut laisser des courbatures. Son mentor et ami Frédéric Bon lui dit en 1987 au moment où il décida bien avant l’heure de laisser à François D’Arcy la direction de sciences po : « tu as greffé un moteur turbo sur une 2CV ». Peut-être est-ce pour aller plus vite que le voilà aujourd’hui associé au Collège d’Etudes Mondiales de Paris, et au Center for Organisation Design de l’Université d’Arizona à Phoenix. Quand je vous disais global.
Par Roché Sebastian |